La fin de vie en débat : Quelles questions est-ce que je me pose ?

Le dimanche 27 novembre 2022, nous nous sommes retrouvés à Eaubonne pour la première rencontre-débat “Parlons-en”. Le thème était celui de “la fin de vie”. Il y avait une trentaine de participants dans la salle à côté de l’église du Sacré-Cœur à Eaubonne (Val d’Oise). La réunion était organisée par Louis-Marie Chauvet, Mireille Bonafoux et Christiane Marmèche. Elle s’est déroulée en plusieurs temps qui avaient été annoncés sur un flyer :

  • Repères pour un bon jugement éthique
  • Nos questions
  • Lecture d’un texte de « La Croix » présentant les différentes positions actuelles (photocopiées pour tous)
  • En quoi ce texte éclaire-t-il nos questions ?
  • Texte méditatif

Le but était de réfléchir à propos d’une éventuelle nouvelle loi sur la fin de vie, dont on savait déjà qu’elle ne porterait pas sur l’euthanasie mais sur l’aide active à mourir. Or l’aide active à mourir est entre autres conditionnée à la capacité de discernement du patient, ce qui n’est pas le cas pour l’euthanasie… mais pour beaucoup de personnes la distinction entre les deux n’est pas claire ! Il faut dire que l’article avait été choisi parce qu’il donnait les positions des deux “camps” mais qu’il parlait plutôt de l’euthanasie !

Voici ce texte de « La Croix » qui est donc à nuancer puisqu’il parlait plutôt de l’euthanasie que de l’aide active à mourir. Pour une lecture orale le texte avait été légèrement modifié (surtout au niveau des sigles), et les noms des personnes citées avait été mis en gras.

La loi actuelle sur la fin de vie ne suffit-elle vraiment pas ?

Depuis 2016, la loi Claeys-Leonetti encadre la fin de vie en France. Le texte est trop restrictif pour les partisans de l’aide active à mourir, qui estiment que la loi ne répond pas à toutes les situations. Il permet déjà beaucoup et devrait surtout être mieux appliqué, répondent les opposants à l’euthanasie.

Le droit français encadrant la fin de vie « souffre (…) de failles et d’insuffisances majeures ». Voilà le constat dressé par Line Renaud et le député Olivier Falorni dans la tribune qu’ils signaient, le 21 août dans Le Journal du dimanche, appelant à légaliser l’aide active à mourir.

Des failles, des insuffisances… L’argument est brandi par les partisans de l’euthanasie ou du suicide assisté : la loi Claeys-Leonetti, adoptée en 2016, ne permettrait pas de répondre à toutes les situations de fin de vie créant, in fine, de la souffrance. Et c’est à ce titre notamment que le législateur devrait aller plus loin. C’est en tout cas la conviction portée par Anne Vivien, anesthésiste-réanimatrice et vice-présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, pour qui « de trop nombreux cas de figure ne sont pas pris en charge par la loi ».

Depuis une loi de 2002 complétée, en 2005, par la première loi Leonetti, un patient qui le souhaite peut demander la limitation ou l’arrêt de ses traitements. La loi de 2016 ajoute à cette possibilité la mise en place d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès ; elle altère la conscience pour faire « dormir » avant de mourir.

« Seulement, cette sédation ne peut être mise en place que si le pronostic vital est engagé à court terme, c’est-à-dire de quelques jours à quelques heures, précise Anne Vivien. Quid des situations où la maladie est incurable, mais n’entraîne pas le décès à court terme ? » L’exemple le plus marquant ? La… maladie de Charcot, qui “emmure” le patient dans son corps. « Mais il y a aussi les autres maladies neurodégénératives comme la sclérose en plaques, Parkinson, Alzheimer. Ou encore les séquelles d’AVC, les cancers…, énumère Anne Vivien. Ce critère de court terme interdit d’abréger ces souffrances-là. Faut-il vraiment imposer aux patients une lente dégradation et les obliger à attendre les tout derniers instants pour être dans les clous ? »

Ces cas sont « des zones grises », concède Sarah Dauchy, psychiatre et directrice scientifique du Centre national sur les soins palliatifs et la fin de vie. « La loi est très bien faite, sauf pour ces situations spécifiques, sur le fil, où le patient est dans un entre-deux. »

Une vision que Ségolène Perruchio, médecin dans une unité de soins palliatifs des Hauts-de-Seine et vice-présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs ne partage pas. Elle l’assure en appuyant sur les mots : « La loi actuelle permet de prendre en charge toutes les maladies… Un malade atteint de la maladie de Charcot devrait être admis en soins palliatifs dès l’annonce du diagnostic. Ce qui ne veut pas dire qu’il est tout de suite hospitalisé. Mais nous allons mettre en place des traitements pour soulager ses symptômes, l’aider sur le plan respiratoire, l’orienter vers des aides humaines et techniques (assistance de vie, aménagement du domicile). »    Et la souffrance existentielle, celle qui ronge les malades, sur le sens de cette vie en suspens ? « Nous pouvons y répondre par un accompagnement pluridisciplinaire. On accompagne. On réadapte le traitement, on invente. C’est notre travail ! »

La majorité des demandes de mort s’éteignent lorsqu’un accompagnement adapté y répond, assurent la plupart des médecins. « La loi actuelle se suffit à elle-même si on la lit jusqu’au bout. C’est la culture palliative qu’il faudrait mieux diffuser avant de vouloir tout bouger », insiste la médecin. Derrière cet appel, le constat habituel en matière de fin de vie. Le champ législatif actuel et ses possibilités sont avant tout mal connus, mal appliqués, les professionnels de santé pas assez formés et les lits trop peu répartis sur le territoire. De quoi court-circuiter un accès égalitaire pour tous.

« Mais quand bien même, proteste Anne Vivien, la médecin de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. Aussi bien appliquée la loi Claeys-Leonetti serait-elle, aussi nécessaires les soins palliatifs sont-ils, il existera toujours – et de plus en plus, avec les revendications d’autonomie – des personnes qui ne veulent pas supporter une lente détérioration de leur état. »

Pascal confirme. Son conjoint, Guy, qui souffrait de la maladie de Charcot et avait interpellé le candidat Emmanuel Macron en mars lors d’un déplacement en Charente-Maritime est mort par euthanasie, en Belgique, fin août. « La douleur physique aurait sans doute été prise en charge en soins palliatifs, mais Guy souffrait surtout psychologiquement d’être enfermé dans ce corps qui ne répondait plus, de voir sa déchéance physique, son vieillissement de vingt ans en six mois. »

La douleur et la souffrance sont, de fait, subjectives et tous les patients n’ont pas le même seuil de tolérance. « Le patient est le seul à pouvoir en apprécier le caractère insupportable », reconnaît Frédéric Guirimand, ex-responsable du pôle recherche à la maison médicale Jeanne-Garnier (Paris). D’autant plus lorsque le malade souffre par anticipation. « L’un de nos proches, atteint de la même maladie que Guy, avait passé ses deux dernières années alité, muet et sourd. Cette fin a eu un impact sur la décision d’aller en Belgique. Guy, qui n’avait plus l’usage de ses mains ni de ses jambes n’a pas voulu attendre un état trop dégradé et trop dépendant pour partir. » Dès lors, ces situations hors cadre, peuvent effectivement être perçues comme « des trous dans la raquette. Mais c’est l’esprit de la loi Claeys-Leonetti. Elle a été rédigée pour les patients qui vont mourir et non pour les patients qui veulent mourir ». Une nuance qui change tout, justement pour Anne Vivien, qui invite à réviser la loi.

Si c’était le cas, ajoute Ségolène Perruchio, de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs « la société et le législateur auront un choix à faire. La médecine doit-elle répondre à toutes les demandes ? Et si elle commence à y répondre, où s’arrêter ? On autorise d’abord l’euthanasie en cas de douleur physique, puis pour de la souffrance psychique ? Pour les empêchements de la vieillesse comme la surdité, la cécité, si elles sont jugées invalidantes ? » Anne Vivien le reconnaît : « Une loi ne pourra jamais définir à 100 % les cas dans lesquels il serait légal de raccourcir une existence. » Conséquence, pour Ségolène Perruchio : « Un élargissement continu des critères sera inéluctable. » Or, « je ne dis pas que ces situations n’existent pas, je dis qu’elles sont rares, précise la médecin. Sommes-nous prêts, au nom de quelques exceptions, à déverrouiller un interdit ? À réaliser cette bascule anthropologique ? À reconnaître, en acceptant la demande de mort d’un patient, que sa vie ne vaut plus d’être vécue ? Comme le dit Claire Fourcade, si la loi passe, on n’obligera personne à demander une euthanasie, mais on obligera tout le monde à l’envisager. »

D’après L’article d’Alice Le Dréau, la Croix no. 42415, 13/09/2022,

Texte méditatif.

Seigneur,
donne à chacun sa propre mort
O Seigneur donne à chacun sa propre mort
Sa mort qui vienne de sa propre vie
Où il connut amour, sens et détresse
Car nous ne sommes que l’écorce et la feuille.
La grande mort, que chacun porte en lui,
Là est le fruit autour de qui tout gravite.
Seigneur, accorde-nous le savoir et la force
D’ouvrir et de lier nos vies en espaliers
Pour lesquels fleurira un printemps
plus précoce.
Car ce qui fait la mort étrange et difficile,
C’est qu’au lieu de la nôtre arrive l’imprévue,
L’authentique, la vraie n’ayant pas su mûrir
(…)
Ressuscite pour l’homme en son cœur
la merveille
De l’enfance éblouie et les contes secrets,
Comme aux primes années
où la pensée s’éveille.
Et donne-lui alors de veiller jusqu’à l’heure
Où il enfantera une Mort souveraine,
Comme un parc murmurant
ou comme un voyageur
Retour d’une contrée lointaine.

Rainer-Maria Rilke, Le livre de la pauvreté et de la mort, Actes Sud, 1982
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